• Un aspect de la misère au XVIIIème siècle : les abandons d'enfants

     

    Dossier documentaire réalisé par Serge Monmarché, Professeur au service éducatif des archives départementales de la Seine-Maritime

    (les documents présentés sont libres de droits et peuvent être utilisés par les enseignants qui le souhaitent)



    Ce dossier a été élaboré à pa rtir de documents conservés aux archives départementales de Seine-Maritime. Il a pour but de mettre à disposition des enseignants des exemples de sources écrites d'origine locale, peu diffusées, afin de les utiliser en classe. Pour les élèves, c'est un premier contact avec les archives, qui peut être approfondi par la consultation sur place d'autres documents.

    Les abandons d'enfants fournissent un éclairage original sur deux problèmes majeurs du XVIIIème siècle pré- révolutionnaire : la misère urbaine et la façon dont l'Etat y répond.
    En effet, les abandons sont, le plus souvent, motivés par des difficultés financières ; ils augmentent ou baissent donc en fonction de la situation économique générale. Les billets d'exposition évoquent souvent cette misère, et les procès-verbaux en font aussi écho.
    Ces enfants, très nombreux dans les grandes villes, doivent être pris en charge. Il faut d'abord leur permettre de survivre, tâche manifestement difficile, puis leur assurer une éd ucation morale et religieuse indispensable et enfin leur permettre de s'intégrer dans la société en leur fournissant un travail. Tout ceci est en grande partie assuré par les institutions hospitalières, d'où proviennent la majorité des documents proposés dans ce dossier.

    • Document 1 : la pratique de l'exposition

    Il s'agit d'une pratique ancienne et courante. De nombreux enfants sont abandonnés devant un lieu "d'accueil" potentiel, église ou hôpital ; pour favoriser l'anonymat, l'hôpital-général de Rouen fera même installer un "tour" permettant aux enfants de se retrouver à l'intérieur du bâtiment en toute discrétion. Le trousseau qui les accompagne permet de juger de la situation sociale de leurs parents (certains enfants illégitimes sont d'ailleurs parfois richement dotés). Un billet explique souvent les raisons de l'abandon : la misère, une famille trop nombreuse, l'absence du père sont les causes les plus souvent évoquées. On y apprend aussi le prénom de l'enfa nt, son âge et s'il est baptisé. Par sécurité, les "trouvés" sont de toute façon rebaptisés. Se trouve parfois une "marque" avec l'enfant, bijou, pièce ou carte qui pourrait permettre sa reconnaissance future. En effet, l'abandon est, dans l'esprit de beaucoup de parents, une solution provisoire. Peu pourtant reviennent chercher leur enfant.

    Le document proposé est un billet d'exposition de 1785. L'écriture est maladroite, l'orthographe approximative. Cette famille, d'origine modeste, réclame assistance pour une petite fille de vingt mois. Le mot s'adresse directement au personnel de l'hôpital-général.

     

    • Document 2 : procès-verbal d'exposition

    Les découvertes d'enfants abandonnés ont été réglementées dès le Moyen-Âge. Chacune d'entre elles donne lieu à l'établissement d'un procès-verbal. Y sont consignées différentes informations : lieu et date de la découverte, nom, âge et état de santé de l'enfant, inventaire des effets qui l'accompagnaient. Le "trouvé" est conduit à l'hôpital-général, où il est rapidement baptisé. Il doit ensuite porter un collier numéroté permettant son identification.

    Le document présenté est un procès-verbal d'exposition de 1784, rédigé par une soeur de l'hôpital-général de Rouen. L'enfant exposé est un bébé de six mois, Julie. Découvert en mai, le bébé mourra en août. L'espérance de vie des "trouvés" était en effet dramatiquement faible.

     

    • Document 3 : sentence de police

    Les hôpitaux ne pouvaient prendre en charge tous les enfants abandonnés ; outre des problèmes de place, se posait la question de la nourriture de ces nourrissons. Une expérience de crèche fut bien tentée à Rouen mais les résultats furent catastrophiques. Tous les enfants, alimentés au lait de vache non chauffé, succombère nt en quelques mois. C'est pourquoi, la mise en nourrice restait la solution la plus simple. L'enfant trouvé était rapidement confié à une nourrice résidant à la campagne. Pour toucher sa pension, celle-ci devait présenter l'enfant à l'hôpital tous les six mois ; le collier prenait alors toute son importance pour vérifier son identité. De nombreux cas de mauvais traitements ou de substitutions sont recensés dans les archives judiciaires Rouennaises.

    Le document présenté est un extrait d'une affiche relatant une sentence de la police du bailliage de Rouen en 1777. Une nourrice résidant près de Ry est accusée de mauvais traitements auprès des nombreux enfants dont elle a la charge. L'affiche rappelle la loi de l'époque, pas plus de deux enfants par nourrice. La condamnation, affichée dans la paroisse, sera constituée par une amende et le paiement de dommages aux familles plaignantes.

     

    • Document 4 : réglement pour l' école de l'hôpital-général

    Les hôpitaux-généraux ne sont pas des lieux de soin, plutôt des lieux d'accueil. On y rencontre des orphelins, des personnes âgées, des invalides, mais aussi des mendiants. Pour ces derniers, l'accueil se transforme en enfermement provisoire ou définitif, la mendicité étant interdite au XVIIIème siècle. Les "trouvés", après la période de mise en nourrice, retournent (pour la minorité qui a survécu) à l'hôpital-général. Ils y reçoivent une éducation à la fois religieuse et professionnelle.

    Le document est un extrait du réglement de 1763 concernant l'école des enfants pauvres de l'hôpital-général de Rouen. On peut y constater que les journées sont longues et l'emploi du temps quasiment monastique. Trois temps bien distincts partagent la journée : religion, instruction, travail.

     

    • Document 5 : registre des enfants à la charge de l'hôpital général

    L'hôpital général n'est pas le destin définitif des trouvés. Les administrateurs du lieu tentent de "placer" leurs protégés auprès de différents employeurs. C'est une vocation mais aussi une nécessité budgétaire ; il faut faire de la place. Seuls les invalides peuvent rester, ainsi que certains jeunes dont les compétences peuvent être utiles. Régulièrement, les enfants sont "inspectés", leur état de santé, leurs progrès consignés dans un registre, ainsi que leurs perspectives d'avenir.

    Ce document est un "montage" à partir du registre du 26 fevrier 1752 consignant les inspections de ce jour, auxquelles ont été ajoutés des inspections postérieures et les sorties ou décès de certains. Jacques Bonmartel, estropié, restera à l'hôpital-général ; François felix est, à 17 ans, employé à la vitrerie de ce lieu ; Nicolas Haché devra attendre l'âge de 27 ans pour être placé chez un tailleur.



    Source: http://www-annexe.ac-rouen.fr

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