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Saviez-vous qu’en Turquie, les lettres Q, W et X sont interdites ?
« Tu savais qu’en Turquie, les lettres Q, W et X sont interdites ? », me demande mon voisin de bureau ce mardi, en relevant la tête du Herald Tribune qu’il lit religieusement tous les matins.
Non, je ne savais pas. Qu’on veuille interdire le travail le dimanche ou les défilés de « mini-miss », je peux comprendre. Que certains veuillent interdire le voile sur les têtes à l’université, les cigarettes sur les plages ou la fréquentation de prostituées, cela me surprend davantage, mais on reste dans le domaine d’un débat possible. Mais l’usage de lettres, c’est plus vertigineux, voire un peu kafkaïen.
« Vashington »
Ces trois lettres appartiennent à l’alphabet kurde, mais elles ne figurent pas dans l’alphabet turc. L’article du Herald Tribune (en fait, une dépêche d’Associated Press) rapporte que cette interdiction pourrait prochainement être levée par le premier ministre Recep Tayyip Erdogan, qui prépare un train de mesures (timides) allant dans le sens d’une plus grande libéralisation du régime : le port du voile serait autorisé dans de nombreuses administrations, certains cours en kurde dans les écoles privées seraient possibles, etc.
Et, donc, les lettres Q, W et X pourraient être tolérées. Ce qui est déjà largement le cas dans les faits, comme le rapporte Guillaume Perrier, le correspondant du Monde.
Dans les documents turcs, Q est normalement remplacé par un K, W par un V ou X par un KS. Taxi se dit Taksi. Même la capitale américaine est orthographiée sans W : c’est « Vaşington ».
Une interdiction utilisée contre les Kurdes
L’article 222 du code pénal« Les personnes qui agissent contrairement aux restrictions et aux obligations prévues par la loi N° 671 du 25.11.1925 relative au port de chapeau (les Fez ont été interdits, ndlr) et la loi n°1353 du 1.11.1928 relative à la reconnaissance et à l’application de l’alphabet turc sont punies de deux à six mois d’emprisonnement. »L’interdiction de ces lettres remonte aux années 1920, lorsque la jeune république turque a abandonné l’alphabet arabe pour l’alphabet latin. Elle est sanctionnée par le code pénal (art. 222) et l’usage de lettres ne figurant pas dans l’alphabet est passible de peines de prison.
Cet article n’était donc pas dirigé, à l’origine, contre les Kurdes. Mais lorsque les autorités veulent coincer des militants kurdes, elles s’appuient de temps à autre sur lui. Un leader kurde a ainsi fait dix-huit mois de prison pour avoir écrit une lettre à Erdogan contenant les trois lettres honnies.
La disparition (Hurriyet)Ces lettres font partie de nombreux patronymes, qui ont été « turquisés » dans les registres d’état civil. Mais pas seulement.Ainsi, le festival de printemps kurde, Newroz, s’écrit « Nevroz » ou « Nevruz » dans les documents turcs. Gare à ceux qui écrivent sur une affiche « Newroz » : la lettre peut être aussitôt recouverte, par les autorités, de papier collant, comme sur cette photo prise en 2008 dans la ville de Elazığ et qui dit : « Bienvenue au festival de Ne■roz ».
Pas de vœux de bonne année
De même, « bonne année » se dit « Sersala We Piroz Be », mais il est interdit à un élu de l’écrire sur une carte de vœux, même si la formule figure parmi les mêmes vœux écrits en plusieurs langues.
Le maire de Diyarbakir (850 000 habitants, la plus grosse ville kurde), Osman Baydemir, en a fait l’expérience en 2006 et a été poursuivi. Pendant le procès, en 2009, comme le rapporte la radio américaine PRI, il a demandé aux juges :
« Utilisez-vous le site web du ministère de la Justice ? »
Les juges ont acquiescé.
« Et quelle est l’adresse du site ? »
Réponse :
« www.adalet.gov.tr/ ».
Alors le maire à rétorqué :
« Ne violez-vous pas la loi trois fois quand vous tapez cette adresse ? »
Manifestation pour l’identité linguistique kurde (Yüksekova Haber)Source: Rue89.com